Comment
représenter une fonction complexe ?
Problématique
Soit

une fonction complexe. La question de vouloir la représenter
graphiquement se pose pour les gens qui aiment bien voir les choses
pour les comprendre (je ne suis pas le seul je pense). Pour
le
cas des fonctions
réelles, beaucoup de propriétés "topologiques" (de forme) peuvent être
visualisées
sur un graphe. On peut alors se demander dans quelle mesure on peut
créer une représentation des fonctions complexes conforme à quelques
propriétés topologiques des fonctions.
1) Représentation
des fonctions réelles
Pour
les fonctions réelles, on a la chance que les écrans d'ordinateur et
les feuilles de papier soient homéomorphes (et même isométriques) à une
partie de

. Ainsi on met une dimension pour
l'argument et
une dimension pour le résultat de la fonction.
Exemple pour la fonction

(tracée sur
MAFA Traceur de courbes,
qui est bien pratique)

Le
graphe nous informe de plusieurs propriétés : on peut y lire la
continuité, la dérivabilité. Là on voit aussi que la fonction n'est pas
dérivable en 0, on peut distinguer qu'elle est négative au voisinage de
0 à droite...
De façon générale, la représentation graphique
permet d'illustrer :
- Le signe et les valeurs de la
fonction tracée
- L'ensemble de
définition
- Les intervalles de
continuité,
les points de discontinuité
- Le signe et les valeurs de la
dérivée
- Le signe de la dérivée seconde
- Le signe de la dérivée troisième (sur certains exemples,
en regardant très attentivement !)
...
Mais la représentation graphique (et cet exemple
l'illustre) a de nombreuses failles évidemment :
- La
limite
de puissance informatique entraîne une limite de la
finesse du tracé
- La taille étant
bornée,
on ne peut pas afficher le
comportement à l'infini
- Certains "évenements" sont suffisament locaux pour n'être
pas décelables
sans les chercher : dans l'exemple tracé au dessus, on
n'aurait pas vu que la fonction était localement négative à droite de 0
si on avait tracé un graphe plus global (sur un plus grand intervalle).
2)
Représentations
complexes
Il fallait donc trouver une façon de représenter les fonctions de

dans

,
qui à priori nécessite un espace ambiant de
dimension 4. On
en a un sous la main : 3 dimensions spatiales et une dimension du
temps. Mais il serait difficile de lire des propriétés de fonctions sur
une surface 3D qui bouge en fonction du temps... (et il est encore plus
difficile probablement de construire un tel graphe)
Le choix retenu
est le suivant :
Les deux dimensions spatiales de l'écran servent à représenter
le nombre où l'on évalue la fonction ;
L'image du point est représentée par une couleur.
Il faut savoir que l'ensemble des couleurs est homéomorphe à un
cylindre ou un cube (en dimension 3) :
On
peut décrire chaque couleur à l'aide de son code HSL (teinte,
saturation, luminosité) ou de son code RGB (rouge vert bleu). Il s'agit
donc de trouver une unique couleur à associer à chaque nombre complexe :
On choisit la représentation polaire du nombre :

, et la représentation HSL des
couleurs
En pratique :
Avec le graphe de l'identité à droite, et la fenêtre gaphique à gauche :
Si vous regardez au pixel
( x , y ),
il faut
comprendre qu'on va y lire
f(x+iy)
;
Si
vous y voyez la couleur orange, il faut se dire qu'elle décrit un
unique nombre grâce à une bijection entre (une partie de) l'ensemble
des couleurs et le plan complexe. Si la couleur correspond à

, alors
z est
l'image du point
(x,y) ou plutôt
x+iy.
On a une correspondance entre la représentation polaire, et la
représentation HSL, la bijection se fait de la façon suivante :
- La saturation est fixée (on ne varie pas vers
des nuances de gris)
- La teinte est proportionnelle à l'argument : par
exemple le bleu clair décrit le réel positif
- La luminosité est proportionnelle au rayon (en
fait, pas proportionnelle, le détail est juste après)
Alors
on peut ainsi dessiner une fonction en coloriant les pixels d'un
rectangle : l'argument de la fonction est la position sur l'écran, le
résulat en ce point est la couleur renvoyée.
Voilà ce que ça donne pour

dessinée sur le
rectangle [-4,4] + i [-4,4]
On l'a choisi ainsi car la teinte a la même
"cyclicité" que l'argument
: ils sont tous deux homéomorphes au cercle unité

.
En mots plus simples, si l'on parcourt toutes les couleurs de la
teinte, on revient sur la couleur initiale ; de la même façon, en
parcourant tous les arguments possibles de -

à

,
on
peut identifier le départ à l'arrivée.
Ce qui est énorme, c'est que grâce à ça, la continuité est
conservée par ce mode de représentation ... ou presque ! car en fait il
n'y a pas de discontinuité de la couleur quand la fonction
tend
vers l'infini :
Voir
l'exemple ci-dessus : la fonction n'est pas définie en 0...
Malgré tout, de tels points sont très
reconnaissables, ce qui rend cette contrainte moins grave.
Cette partie est
adressée à un public familier de la
topologie et des nombres
complexes.
Vous pouvez passer directement à la
partie 3 si ces sujets ne vous passionnent pas :)
En pratique, pour
l'argument les choses se passent bien, car il est toujours borné et
souvent
facile à calculer. Pour le module, il faut prendre des précautions.
Tout dépend toujours des valeurs des fonctions qu'on veut tracer. Si
l'on trace une fonction continue sur un ensemble "petit", le module ne
peut pas exploser et donc, pas de problème.
Mais si on trace une
fonction qui a des
zéros et
des
pôles,
on a un problème : le zéro n'a aucune importance dans le tracé, le pôle
englobe toute l'information (voir ci dessous à gauche).

sur le carré [-2,2] + i [-2,2] :

sur le carré [-2,2] +
i [-2,2] :
Sur la figure de gauche, on doit
borner 
pour faire correspondre un MODULE à une LUMINOSITE. On choisit naïvement de définir
un nombre comme infini lorsqu'il dépasse un certain module (ici 10) donc "

= [0,10] "
Sur la figure de droite, on prend le logarithme du module, donc on fait la même
opération pour borner Log(

)=

;
Ici on prend "

=[-3,3] " au sens où on considère que le module est nul s'il est inférieur à exp(-3), infini s'il est supérieur à exp(3).
Avec les deux illustration de la même fonction ci-dessus, on voit que l''idéal est de prendre le
logarithme
du module (voir la figure de droite) : ainsi la croissance à l'infini
n'est pas trop
brutale (donc on y voit quelque chose) et en plus, ça a l'avantage de
donner la même importance aux zéros qu'aux pôles (quand on trace une fonction holomorphe ou méromorphe).
La figure de droite ne semble ici pas scandaleuse (bien que pas très
belle) mais elle le devient pour d'autres exemples de fonctions :
En pratique, malgré la précaution du logarithme,
les valeurs
de

peuvent être
très variables (grandes). Il est donc préférable
de "compactifier"

par exemple
avec

au lieu de

:
le nombre représentatif du module varie alors entre -1/2 et 1/2. Quand il
est proche de -1/2 on s'approche du module 0 ; quand il est proche de 1/2
on s'approche du module infini.
Voici un exemple où cette précaution s'avère indispensable,

sur le carré [ -0.5 , 0.5 ] + i [ -0.5 , 0.5 ] :

Là, les logarithmes sont tellement variables qu'il est
indispensable de ne pas les borner stupidement, au risque de perdre
beaucoup d'informations.

réalise un homéomorphisme entre la droite étendue de

et [ -0.5 , 0.5 ] ainsi
on peut ainsi avoir une luminosité
représentative du module, et des images lisibles (et même belles
éventuellement !) comme le montre la figure de droite..
Finalement, on trace
une couleur correspondant au nombre complexe

au pixel
correspondant au
complexe

.
La
teinte (entre -

et

)
vaut

et la
luminosité (entre
-1/2 et
1/2) vaut
3
)Comment lire les valeurs de la fonction ?
Pour lire les valeurs de la fonction, il faut avoir en tête
la
dégaine de l'identité. Une fois qu'on a bien en tête la
correspondance entre les couleurs et les nombres, il est facile
d'imaginer le comportement d'une fonction en voyant son graphe.
Graphe de

sur le carré [-10,10] + i [-10,10] :
4)
Premières
propriétés
Comme on l'a vu, les
points particuliers apparaîssant les plus clairement sont les zéros (en
noir) et les pôles
(en blanc). Ils apparaîssent avec la même
"importance" grâce à la manoeuvre du logarithme.
Les points
d'image réelle sont représentés en bleu
clair (cyan) ou en rouge selon le signe.
Les points d'image imaginaire
pure sont bleu-violets
ou vert-jaunes.
Tout ça est assez imprécis mais
ça donne quand même une idée du comportement d'une fonction.
Cette représentation est assez conforme
aux
ambitions qu'on lui vouait initialement : elle rend visible des
propriétés de la fonction comme : la continuité,
l'ensemble de
définition,
les points d'annulation, les multiplicités
des pôles ou des
zéros, les points d'annulation de la dérivée (c'est pas
rien quand même
!) , parfois on peut voir des sous ensembles stables, des périodicités, les propriétés d'une
singularité....
Elle a tout de
même des
défauts : comme pour les représentations réelles, on ne peut à priori
pas dessiner l'image d'une fonction sur 
tout entier. C'est en
fait
possible mais j'en parlerai pas ici. On en parle sur la page
Homographies !
Un autre problème est le
manque de compatibilité
avec la somme : avec la donnée de deux graphes de fonctions f et g
tracés, il est très difficile et contre-intuitif d'anticiper la
forme du graphe de f + g.
En revanche la forme de fg
est quant à elle assez limpide : les zéros et les pôles
sont les mêmes,
et les teintes s'ajoutent. Cette compatibilité avec le produit et non
la somme vient (à méditer) de ce même fait pour la représentation
polaire de deux nombres complexes.
Illustration de ce phénomène :
f
g
fg
f+g
Et là, on voit que la somme est non congruente. Ce
serait
encore plus visible avec des fonctions prenant toutes les deux de
grandes valeurs (et assez différentes pour les deux fonctions).
Pour aller un peu plus loin pour comprendre les
fonctions et leurs représentations, voir la page
Lecture des graphes !
Sinon, pour voir plusieurs exemples connus de
graphes, RDV sur la page
Fonctions
principales !